5
Le protocole, élevé à la dignité d’un art sur Ophtéria, apprit à Killashandra que, s’il n’y avait pas de révoltés sur la planète, c’est que la population vivait en pleine stagnation intellectuelle. À la réception, tous les professeurs du conservatoire, leurs subordonnés et tous leurs étudiants défilèrent devant elle en ordre hiérarchique. Heureusement, les poignées de main ne faisaient plus partie du rituel. Une inclinaison de tête, un sourire, un nom répété indéfiniment suffisaient. Après le cinquantième, Killashandra eut l’impression que son sourire était figé sur son visage et ses muscles à jamais pétrifiés dans cette position. Assistée de son fidèle quatuor, elle était debout en haut d’un immense escalier à double révolution, dont les marches de marbre blanc descendaient vers un hall, lui aussi dallé de marbre. Le plafond de cet immense hall de réception était si haut que tous les bruits s’y perdaient.
Killashandra aperçut des tables, chargées de plats dont les contenus étaient disposés avec autant de précision que les plats eux-mêmes, et des aiguières de liquides colorés. Les assistants détournaient scrupuleusement les yeux des rafraîchissements. Killashandra se dit qu’ils connaissaient trop bien les nourritures et boissons du banquet.
La réception, elle aussi, se déroulait selon un ordre curieux. Cinq personnes descendaient par l’escalier de droite, les cinq suivantes par celui de gauche. Killashandra se demanda si, dans une lointaine antichambre, un maître d’hôtel aiguillait les gens vers la droite ou la gauche. Il n’y en avait jamais plus de dix à attendre d’être introduits, pourtant, il arrivait un flot constant de personnes dans le hall, malgré son apparence aléatoire.
Brusquement, le flot des invités s’arrêta, et Killashandra laissa ses joues se détendre, exécuta quelques circonvolutions de la tête et quelques grimaces, sans souci de sa dignité, pour détendre ses muscles. On ne sait jamais quand une formation de chanteuse pourra se révéler utile, pensait-elle, juste à l’instant où elle entendit son quatuor ravaler son air avec un ensemble parfait. Recomposant son visage, elle leva les yeux à temps pour assister à l’entrée cérémonielle des dignitaires.
Les sept personnes qui arrivaient en procession – car c’était le mot juste pour qualifier leur progression n’étaient pas vêtues différemment des autres Ophtériens de haut rang, mais ils portaient leurs robes pastel avec une autorité incontestable. Quatre hommes et trois femmes, chacun arborant le même sourire sur son visage serein. Visages, ainsi que Killashandra le remarquerait bientôt, qui avaient été soigneusement modifiés par la chirurgie et les artifices pour rehausser cette sérénité, car un seul de ces sourires effleurait les yeux âgés, las et pleins d’ennuis.
Killashandra fut immensément soulagée de découvrir que l’Ancien Ampris serait le seul des gouvernants d’Ophtéria auquel, elle aurait souvent affaire. Il était actuellement responsable du Centre Musical. S’il avait existé un Prix Stellaire donné au meilleur acteur de composition parmi les gouvernants planétaires, Amplis l’aurait sans doute remporté. Si ce n’avait été cette disparité d’expression entre le visage et les yeux, Killashandra n’aurait peut-être pas remarqué la petite lueur humoristique dans les prunelles, ni ressenti ce soulagement que l’on éprouve en rencontrant une âme sœur. Les autres, dont elle oublia promptement les noms, la gratifièrent d’une solide poignée de main, de quelques mots de remerciement pour « avoir entrepris un voyage aussi long et fatigant », et passèrent, s’étant acquittés de leur devoir. Tous attendirent, sans avoir l’air d’attendre, en haut de l’escalier de droite. Puis Killashandra sentit sur sa main le contact presque électrisant de celle d’Ampris, regarda les yeux pleins de vivacité et de sagesse, et eut son premier sourire sincère de ce long après-midi.
— Nous aurons le temps de bavarder plus tard, Ligueuse Ree. En attendant, dorons leur journée de l’or et de la pourpre de nos présences, dit-il, embrassant d’un geste désinvolte non seulement les dignitaires, mais tous les assistants.
Thyrol regarda Killashandra, la main sur le bras d’Ampris, puis se tourna vers l’Ancienne la plus proche et lui offrit son bras. Pas d’énervement, pas de confusion, pas d’agitation à ce changement d’escorte : tout était prévu, planifié dans les moindres détails, y compris l’inattendu. Car, à l’évidence, personne n’avait pu prévoir qu’Ampris ferait à Killashandra l’honneur de l’escorter personnellement.
Killashandra se demanda si les rations avaient été minutieusement mesurées, car deux bouchées venaient à bout de chacun des quatre canapés, cinq gorgées vidaient un verre. Mais elle faisait partie de la minorité privilégiée dont on remplissait les verres à mesure et qui avait droit à des canapés supplémentaires.
— Ce sera bientôt fini, lui murmura Ampris presque sans remuer les lèvres. Un vrai repas nous sera servi quand les subordonnés auront assez siroté et grignoté et seront partis retrouver le confort de leur mutine.
Il parlait sans dédain ni malice : Amplis énonçait simplement un fait sur la majorité des assistants.
— Après avoir eu le rare privilège de se trouver dans la même salle qu’une chanteuse-crystal en chair et en os ?
— Mais c’est un privilège, dit Ampris, lui rendant son regard sans chercher à ruser ou éluder. Trois minutes après votre arrivée à l’infirmerie, la nouvelle de vos pouvoirs de régénération avait déjà gagné les sous-sols.
— Vous n’êtes certainement pas logé dans les sous-sols ?
De nouveau, les yeux bruns d’Ampris pétillèrent.
— Le siège de toute connaissance…
— Pour pouvoir arriver au fond des choses ?
— Naturellement.
— Avec une situation de sécurité maximale ? dit Killashandra, provocante.
Après tout, pourquoi ne pas commencer son enquête secrète au sommet ?
— La sécurité n’est jamais un problème dans un monde aussi ordonné qu’Ophtéria.
Il inclina la tête à l’adresse de trois dignitaires circulant dans l’assemblée.
— Tout le monde est en sécurité sur Ophtéria, chacun connaissant sa place et ses devoirs. La sécurité est le fondement de la sérénité d’esprit typique de ce monde naturel.
Aucune moquerie dans ses paroles, aucune nuance sarcastique dans sa voix. Aucune lueur amusée dans ses yeux, aucune expression cynique sur son visage. Et pourtant, Killashandra sentit le dénigrement aussi clairement que s’il l’avait formulé en paroles.
— Alors quelqu’un doit avoir temporairement perdu l’esprit pour me lancer ce petit couteau étoilé.
— C’est une arme des îles, dit Ampris. Nous leur avons laissé trop d’indépendance au début de la colonisation. Les colons originels étaient d’accord avec nous, naturellement mais, avant que nous ayons pu rétablir le contact, ils avaient dévié de nos buts originels. Ophtéria devait, être un monde autonome, mais pas un monde composé de groupes autonomes.
La voix et l’attitude dénués d’humour d’Ampris donnaient à entendre de quels traitements on avait dû gratifier les dissidents.
— Le problème de cette scandaleuse attaque sur votre personne sera résolu, Ligueuse Killashandra.
— Je n’en doute pas un instant.
Ampris scruta son visage.
— Sur une planète ordonnée, l’inusité est toujours remarquable.
— Ampris, il ne faut pas monopoliser notre distinguée visiteuse, dit une voix contrariée.
Killashandra se retourna, et se trouva sous l’œil scrutateur d’un autre Ancien. Il avait des yeux de charognard, vifs, noirs, perçants. Analogie encore accentuée par un long nez crochu. Sa peau avait une curieuse apparence laquée, qui se craquelait sur les bords au moindre changement d’expression qu’il s’autorisait. Son regard s’abaissa brièvement sur son épaule gauche, comme s’il pouvait pénétrer la soie et examiner la blessure sous-jacente.
— Je n’ai jamais eu la passion du monopole, Torkes, dit Ampris. Mon collègue Torkes détient le portefeuille des Communications. Nous travaillons en collaboration étroite dans nos deux disciplines parentes. Il soutient que la Musique est dépendante des Communications, et moi, bien entendu, je maintiens le contraire et que, sans elle, les Communications n’auraient rien à communiquer.
— Naturellement dit Killashandra, arborant un large sourire dont elle gratifia impartialement les deux hommes.
Ampris accepta son faux-fuyant avec un petit sourire, tandis que Torkes s’inclinait comme si cette réponse ambiguë lui accordait la décision.
— Quel genre de réseau au crystal utilise votre complexe, Ancien Torkes ?
— Réseau au crystal ? dit Torkes, l’air outragé. Nous n’avons pas d’argent à gaspiller pour ce genre de technologie. Le crystal est réservé aux musiciens.
— Vraiment ?
Killashandra crut saisir une réaction satisfaite chez Ampris. Torkes semblait totalement inconscient des implications de sa déclaration.
— Le crystal est pourtant naturel… reprit-elle.
— Le crystal n’est pas naturel sur Ophtéria. Et ce n’est pas un produit indigène, comprenez-vous ? Et nous devons respecter les dispositions de notre Charte.
— Vraiment ? Ne violez-vous pas cette Charte en employant des instruments étrangers ?
Torkes écarta l’argument d’un claquement de ses longs doigts osseux.
— La musique est une forme d’art que nous avons pu apporter avec nous. C’est une chose de l’esprit, elle est intangible…
— Et que sont donc les Communications ? Peut-on les toucher ? Les sentir ? Les goûter ?
Torkes la regarda d’un air si farouche qu’elle prit soudain conscience, non seulement d’avoir interrompu un Ancien, mais encore de l’avoir contredit. Puis elle sentit plutôt qu’elle ne vit l’intense jubilation d’Ampris quand, l’instant suivant, Torkes réalisa qu’un membre de la Ligue Heptite, spécialiste nécessitée d’urgence par sa planète, avait un statut égal au sien.
— Mais, dit Ampris, rompant le silence pesant qui s’ensuivit, l’orgue a été conçu par des Ophtériens dans des buts propres aux Ophtériens, et il n’existe que sur notre planète.
— Oui, oui, tout à fait, marmonna Torkes, comme un discret carillon annonçait la fin de la réception.
Torkes en profita pour s’esquiver.
— Ainsi, personne ne discute jamais avec vous autres Anciens ? demanda Killashandra, suivant Torkes des yeux.
— C’est très agréable pour nous, je vous assure, gloussa Ampris. Heureusement, Torkes est plus flexible qu’il n’en a l’air car, lorsqu’il change de Portefeuille, il se dévoue corps et âme à ses nouvelles responsabilités.
Comme Killashandra semblait perplexe, il expliqua :
— Les Anciens changent de Portefeuille tous les quatre ans, pour qu’aucun de nous n’acquière des vues trop étriquées par rapport à l’ensemble des problèmes.
— Je vois.
— Alors, vous avez plus de sagesse que votre âge n’en annoncerait, dit Ampris, car je n’arrive pas à croire qu’un administrateur sourd puisse efficacement diriger la musique, ni qu’un Ancien ignorant des mathématiques puisse être chargé du Trésor. Toutefois la machinerie du gouvernement est si lourde que quatre ans de mauvaise administration ne produisent généralement rien de plus grave que quelques fautes de calcul contrariantes, quelques bévues mineures facilement réparables. Ce qui prouve une fois de plus sans conteste la brillante intelligence des pères fondateurs d’Ophtéria.
Thyrol parut, s’inclinant respectueusement pour s’excuser de son interruption.
— Ancien Ampris, Ligueuse Ree, auriez-vous l’obligeance de vous rendre à la salle à manger ?
La beauté de la salle, l’élégance des tables, et la remarque antérieure d’Ampris avaient fait espérer à Killashandra un bien meilleur repas. Bien que présentées avec art, les portions minuscules n’apaisèrent pas le solide appétit de Killashandra. De plus, aucun plat n’était assez copieux pour qu’elle pût en identifier les composants ou en savourer le goût. Les différents services étaient accompagnés de boissons si insipides que l’eau avait plus de saveur – et pas une seule bière ou boisson fermentée parmi elles. Le soupir exaspéré de Killashandra attira l’attention de l’Ancien Pentrom, assis à sa droite.
— Ophtéria ne produit-elle pas des bières ou des vins plus sapides que cela, Ancien Pentrom ?
— Vous voulez dire, des boissons alcooliques ? dit-il, comme si elle avait posé une question inconvenante.
Killashandra le gratifia d’un long regard pénétrant, et conclut qu’avec sa bouche pincée, son menton pointu et ses petits yeux en trous de vrille, elle n’aurait pas dû s’attendre à autre chose.
— Effectivement, je parle de boissons alcooliques.
Il ouvrit la bouche pour protester, mais avant qu’il ait pu dire un mot, elle poursuivit :
— L’alcool est essentiel au métabolisme d’un chanteur-crystal.
— Je ne l’ai jamais entendu dire depuis des années que je suis Directeur Médical de cette planète.
— Avez-vous rencontré beaucoup de chanteurs-crystal dans votre carrière ?
Piquée par un nouveau personnage dogmatique, Killashandra renonça à tout semblant de tact. Ces gens avaient besoin d’un bon savon, et elle était dans la position enviable de pouvoir l’administrer avec impunité.
— En fait, non…
— Alors, comment pouvez-vous contester mes affirmations ? Ou contester mes besoins ? Cette bibine… dit-elle, montrant son verre avec dédain.
— Cette boisson est un liquide nourrissant soigneusement composé pour fournir à un adulte les quantités quotidiennes de vitamines et de sels minéraux…
— Pas étonnant qu’elle ait un goût si répugnant ! Puis-je vous faire remarquer que tout brasseur digne de ce nom fournit les mêmes vitamines et sels minéraux sous une forme suffisamment potable pour donner du plaisir en plus ?
Le Directeur Médical repoussa sa chaise et jeta sa serviette sur la table, se préparant à une harangue. Et soudain, tous les yeux furent braqués sur eux.
— Jeune femme…
— Faites-moi grâce de votre condescendance, Ancien Pentrom, répondit Killashandra, se levant avec grâce et le foudroyant du regard.
Elle promena un regard réprobateur autour de la table.
— Je vais me retirer dans mon appartement jusqu’à ce qu’on me procure une nourriture suffisante, dit-elle, retournant son assiette vide, pour satisfaire mon appétit, et suffisamment de boissons alcooliques pour le fonctionnement de mon métabolisme. Bonne soirée.
Dans le silence stupéfait, Killashandra quitta la salle. Des portes aussi grandes et lourdes que celles de la salle à manger ne claquaient pas de façon satisfaisante, mais elle avait tant apprécié sa sortie que cette partie de son finale ne lui manqua pas. Dans le couloir, elle fit sursauter les domestiques, nonchalamment appuyés contre les murs.
— Quelqu’un sait-il où se trouve mon appartement dans ce mausolée ? demanda-t-elle.
Tous levèrent la main, alors elle désigna le plus proche.
— Conduisez-moi.
Comme il hésitait, regardant anxieusement la porte, elle répéta son ordre, avec plus de force et d’autorité. Il s’ébranla sur-le-champ, plus désireux d’éviter son courroux immédiat que le mécontentement d’une autorité absente.
— Dites-moi, dit-elle d’un ton plaisant quand ils furent montés dans le petit ascenseur, la nourriture est-elle abondante sur Ophtéria ?
Il la regarda nerveusement mais, devant son sourire engageant, il se détendit un peu, tout en restant aussi loin d’elle que possible dans la cabine.
— Il y a tout ce qu’on veut sur Ophtéria. Trop, même. Cette année, on n’a ensemencé que la moitié des terres, et les primeurs ont pourri dans les champs.
— Alors, pourquoi m’a-t-on donné trois bouchées au dîner ?
Une expression voisine de la moquerie passa sur le visage du jeune homme.
— Tous les Anciens sont vieux ; ils ne mangent pas beaucoup.
— Ummm. C’est possible. Mais une bonne bière ou un vin sec auraient amélioré la situation.
Un sourire taquina les lèvres du jeune homme.
— C’est que l’Ancien Pentrom était présent, et il est l’ennemi juré de toutes les boissons alcooliques. Il dit qu’elles minent l’énergie des jeunes, et brouillent les idées des vieux.
— Et il était mon voisin de table !
L’exclamation ironique résonna fortement dans la petite cabine.
— Comme toujours, je suis bien tombée ! Eh bien, je ne suis pas sous sa juridiction, et si les Anciens désirent que je répare cet orgue, c’est moi qu’ils devront satisfaire, et pas lui.
À l’évidence, cela choqua le jeune homme.
— Dites-moi, reprit-elle d’un ton suave, presque câlin, vous me semblez à la page. Quelles boissons intéressantes cette planète produit-elle ?
— Oh, il y a des bières et des vins, l’assura-t-il promptement et avec quelque fierté. Et quelques liqueurs assez fortes fabriquées dans les montagnes et les îles – mais elles sont interdites dans le Conservatoire.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, et l’Ophtérien descendit vivement.
— Dommage, dit Killashandra, suivant son guide dans le couloir. Qu’est-ce que vous buvez ? Non, négligez cette question.
Elle sourit devant son air sidéré.
— Quelle est la boisson la plus populaire ?
— La plus populaire de ce continent est une bière appelée Bascum.
— Bascum, c’est une plante oui une personne ?
— Une personne, dit son guide, s’échauffant sur le sujet.
À l’intersection, il montra le couloir de gauche.
— C’est l’un des Pères Fondateurs.
— De sorte que sa brasserie est autorisée à fonctionner malgré la réprobation du Directeur Médical ?
Il acquiesça de la tête, et elle sourit.
— Je déduis de vos paroles qu’il existe d’autres boissons très populaires ? Il y a des vins ?
— Oh oui. Le continent occidental produit d’excellents crus, blancs et rouges, et quelques liqueurs doublement distillées. Je ne connais pas du tout les vins.
— Et ces îles dont vous parliez ? Elles ont des sources de boissons alcoolisées ?
— L’arbre polly.
— L’arbre polly ?
— Son fruit fermenté donne un cognac qui, paraît-il, est plus fort qu’aucun autre dans l’univers. L’arbre polly fournit des feuillages pour les huttes, un bois à grain serré pour la construction, ses racines brûlent lentement, son écorce martelée donne une fibre dont on tisse les vêtements, sa moelle est très nourrissante, ses gros fruits sont délicieux aussi bien que reconstituants…
— Quand ils ne sont pas fermentés…
— Exactement.
— Et l’arbre polly ne pousse que sur les îles ?
— C’est exact. Et voilà votre appartement, Ligueuse Ree. Il ouvrit la porte.
— Il n’y a pas de serrure ?
Killashandra n’avait pas remarqué ce manque lors de sa rapide inspection.
— Il n’y en a pas besoin dans le Complexe, dit son guide, l’air surpris de sa réaction. Personne n’oserait entrer sans votre permission expresse.
— Il n’y a pas de voleurs sur Ophtéria ?
— Pas dans le Conservatoire !
Elle le remercia de ses services, entra dans son sacro-saint appartement, et referma la porte derrière elle avec un soupir de soulagement. Seulement alors son regard tomba sur la table. Elle poussa un cri de surprise devant la collection de bouteilles de toutes tailles et formes, de chopes et verres à vin qui l’attendaient sur une nappe blanche. Sur un plateau séparé, tout un assortiment d’amuse-gueules, noix et biscuits. Un petit coffre s’ouvrait, contenant des bouteilles rafraîchies et deux amphores de terre.
Impossible que tout cela ait été rassemblé depuis sa sortie tumultueuse de la salle à manger. Puis elle se rappela les remarques qu’elle avait faites en venant de l’astroport. Eh bien, l’Ancien Pentrom était peut-être un abstinent bégueule et dogmatique mais, à l’évidence, quelqu’un s’efforçait de satisfaire tous ses caprices.
Parce que son guide avait parlé de la Bascum, elle choisit finalement la petite bouteille brune de la glacière. Elle la décapsula, et versa lentement le liquide doré dans la chope appropriée. La bonne odeur maltée qui lui monta aux narines lui parut de bon augure.
— Ce n’est pas trop tôt, dit-elle, prenant une poignée de noix et biscuits et se laissant tomber dans le fauteuil le plus proche.
— Aux amis absents !
Elle leva sa chope puis goûta la bière.
Elle regarda le liquide avec respect et ravissement.
— Bascum aurait-il été originaire de Yarran ? se demanda-t-elle. Cette mission ne sera peut-être pas si désagréable après tout !